samedi 6 septembre 2014

heureux qui comme la fille...

...a fait un beau voyage!
Cet été, la fille qui est une veinarde a fait un petit tour en Thaïlande. 
Oui, c'est banal pour certains, partir à l'autre bout du monde fait partie de la routine. 
Mais pas pour la fille. Depuis fort longtemps, la fille était restée dans son hexagone, où elle passe aussi de très jolies vacances. 
Mais partir, voyager lui manquait. Beaucoup. Plus qu'elle n'en avait conscience en fait.
La fille est donc partie faire sa touriste. 
Avec son sac à dos, ses chapeaux, ses lunettes de soleil. Et son Nikon.
Et puis, au long de son périple, la fille a petit à petit laissé tomber sa panoplie. 
Rangé le Nikon et ouvert les yeux. Ôté ses lunettes de soleil pour croiser les regards.
Et senti des trucs se passer dans son corps. Elle s'est découverte voyageuse.
Tout à coup, grâce au voyage, à la perte des repères qu'il induit, la fille a laissé de côté ses pensées. Et elle a écouté son corps:

"L'expérience du voyage ne s'intellectualise qu'après coup.
C'est d'abord avec mon corps que je vis le voyage.
Mes sens, sollicités tout à fait différemment, qui me mettent en posture de voyageuse.
Mes yeux, qui d'ordinaire glissent sur plein de choses et se focalisent sur un point, tout à coup se mettent à envoyer des tonnes d'informations en même temps à mon cerveau.
Tout est à regarder. Tout me semble différent, étranger. Tout ce qui tombe sous mes yeux, je le dévore, je l'assimile. Une gloutonnerie visuelle m'envahit. Je voudrais imprimer dans ma mémoire chaque lieu, chaque objet, chaque visage, chaque regard, chaque sourire.
Mon nez est assailli d'odeurs. Souvent plus déplaisantes les unes que les autres, il faut bien le dire. On a tous des odeurs imprimées dans notre cerveau, associées à des souvenirs. La tarte aux pommes dans le four, la forêt landaise, le parfum de ma grand-mère. Les souvenirs olfactifs sont paraît-il les plus prégnants. En Thaïlande j'ai souvent eu l'impression qu'un nez ne suffisait pas pour sentir toutes ces odeurs en même temps. Pourtant oui, je sais, le mien est suffisamment gros comme ça, je vous entends d'ici, bande de malotrus! Les odeurs de cuisine, partout, à chaque mètre, qui chatouillent mes narines mais aussi les ordures, les eaux usées qui s'écoulent par endroits dans la rue ou la rivière, sous les rails, l'odeur de l'essence dans les pirogues à moteurs, les ferrys, les bus. Ici, mon odorat me semble anesthésié. Là-bas, saturé.
Ma peau, couverte par des gouttes de sueur à tout moment. Cette sensation de transpirer à chaque instant, totalement étrangère à ceux qui comme moi vivent sous des climats tempérés.
Chaque repas est aussi une expérience pour le corps: les choses n'ont pas le goût attendu ou imaginé, les épices réveillent (ou endorment!) les papilles. Plats dont je n'évoquerais pas la digestion, tout un poème...
Et puis bien-sûr, les sons. N'entendre quasiment jamais parler sa langue maternelle mais une foule d'autres langues. Imiter l'anglais des Thaïs, pour finalement le faire sien avec le temps. Entendre une foule de bruits, à la nuit tombée: les chants des grenouilles, les bruits des insectes, des gekos, des oiseaux. Et puis selon les endroits, les bruits de la fête, tout le temps, partout. La première nuit en France, à mon retour, c'est ce qui m'a frappée: le silence. J'ai trouvé une étrangeté à ce silence comme j'avais trouvé étrange en arrivant là-bas qu'il y ait autant de bruit la nuit, où que l'on soit.

Pendant tout mon séjour dans les îles du sud, malgré toutes ces sensations, je suis restée une touriste. Je ne me sentais pas étrangère à mon propre environnement, mais bien étrangère dans ce pays visité. Habitée par l'envie de photographier, de collectionner des moments, pour en faire des souvenirs, par la joie d'être dans des lieux imaginés, rêvés, mais jusqu'alors inconnus.

Et puis, à un moment, au cours du voyage, la touriste a laissé la place à la voyageuse. Tout à coup, la sensation d'être présente à un endroit semblait aller de soi. Comme si j'étais là toute entière, sans me sentir étrangère.
En partant vers le Nord, après un interminable voyage en train de nuit pour traverser la moitié du pays, me voici dans un minivan pour parcourir 200 kilomètres encore et rejoindre la frontière birmane. Entre sommeil et veille, musique dans les écouteurs, sur une route sinueuse de montagne, un paysage nouveau, différent, se donne à voir par touches. J'aperçois un versant, puis il se cache. Réapparaît. Les rizières se laissent deviner au loin. Je sens combien mes yeux ont du mal à se détacher des lieux, déjà.
Et puis, le lendemain, en pirogue, tout à coup, le paysage tout entier me submerge. Me bouleverse. Jusque-là, j'ai vu de très jolis endroits dans ce monde. Mais jamais je n'ai encore ressenti cette émotion brute, pure et magique. Des larmes coulent de mes yeux sans que je comprenne bien pourquoi. Mon corps tout entier se met à frissonner, j'ai la chair de poule pendant de longues minutes. A cet instant, je sens que cette région et moi, on fait corps. Comme si j'avais attendu toute ma vie cette rencontre. Comme si c'était évident d'être là. Je ne peux plus cligner des yeux, fermer le regard à ces lieux m'est insupportable tellement c'est beau. Quand j'étais étudiante, j'ai rencontré plusieurs fois cette émotion esthétique pure face à des œuvres d'art. L'an dernier encore, j'ai rencontré un Miro. Mais cet été, j'ai rencontré un paysage. Comme on rencontre une personne. Comme si jamais je n'avais à ce point ressenti cet "ici et maintenant", cette présence au monde.
Coïncidence, c'est dans cette pirogue que mon chapeau s'est envolé. Que j'ai rangé l'appareil photo car j'avais trop envie de voir avec mes yeux, sans intermédiaire.
Puis, ce jour-là et les suivants, sont venues les rencontres avec des gens. Alors, les lunettes de soleil ont rejoint le sac à dos et les regards se sont croisés tellement intenses, tellement précieux. Ces personnes m'ont ouvert leur porte. Présenté leur famille: leurs enfants, leurs parents, leurs voisins. Ouvert leur maison, leur jardin, leur école, leur rizière. Donné tout ce qu'ils pouvaient me donner de connaissance de leur terre, de leur environnement, tant ils l'aiment et voulaient me le faire découvrir, vraiment.
Ces instants là ont été si intenses.Comment les oublier? Oublier l'émotion qui les a accompagnés?
Sur les quelques photos que d'autres ont prises pour moi et que je regarde, de manière assez obsessionnelle depuis mon retour, je cherche la trace de cette émotion, sans la trouver vraiment. Comment une image pourrait montrer combien je me suis sentie vivante et présente au monde en ces lieux, avec ces gens et à ces moments là?
Vivre ici et maintenant. Réussir, sans le vouloir et sans le contrôler, à être un corps et un esprit totalement connectés ensemble mais aussi connectés au lieu et au moment présent.
Voilà l'expérience fascinante que le voyage m'a offerte.

Depuis le retour, chaque jour la pensée du prochain voyage est là. Je veux repartir. Perdre à nouveau mes repères. Me laisser guider par d'autres lieux, d'autres temps, d'autres personnes.
Partir à la rencontre du monde.
J'ai écrit un article où je parlais de courir pour me retrouver moi-même. Désormais, je voudrais trouver les autres. Trouver le monde. Non pas le visiter mais le rencontrer, le vivre. le respirer, le voir, le sentir, le toucher, le goûter.

Alors depuis, bien-sûr, j'ai racheté un autre chapeau, rechaussé mes lunettes de soleil. Et ressorti le Nikon.
Mais je sais que je peux les laisser de côté. Et que je le ferai, dès que possible.
Et cette fois, avec mes enfants. Partager avec eux cette expérience m'est devenu essentiel."

Oui, heureux qui comme la fille...


1 commentaire:

  1. Magnifique comme tu ecris!! Moi qui etais avec toi a ces moments magiques, qui a vu couler tes larmes devant tant de beaute et qui a partage ces moments inoubliables avec ces personnages, je te remercie de me faire revivre et partager tes emotions par tes mots... magique en effet

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